Le professeur Kandé Bangoura, spécialiste des questions environnementales, tire la sonnette d’alarme sur les impacts visibles du changement climatique dans le village côtier de Konimodia, où l’érosion grignote chaque année un peu plus le rivage. Dans cette interview exclusive, il revient sur les causes scientifiques de ce phénomène, l’état critique des ressources halieutiques, et appelle à une mobilisation urgente des chercheurs, des autorités et des communautés locales.
Les riverains rappellent qu’il y avait au moins deux kilomètres entre la mer et les habitations. Aujourd’hui, cette distance a fortement diminué. Que risquent-ils dans les années à venir ?
Le Pr Kandé Bangoura : En matière de changement climatique, on parle d’adaptation et d’atténuation. S’adapter, c’est anticiper l’élévation du niveau de la mer et l’érosion des côtes. À chaque épisode d’érosion, les habitations situées en bord de mer sont contraintes de reculer vers l’arrière-village. Or, cet arrière-village était autrefois une zone rizicole. Aujourd’hui, le sable y est transporté par les vagues, ce qui donne l’illusion d’un terrain habitable. Les habitants refusent donc de partir, d’où l’urgence d’une adaptation réelle.
Pour atténuer les effets, si les riverains replantaient des manguiers, des cocotiers, comme cela se faisait autrefois, cela contribuerait à freiner l’impact des vagues sur les côtes.
Quel est votre constat sur ce port artisanal de pêche à Konimodia ?
J’ai quitté ce village il y a deux ans, mais j’ai encore les larmes aux yeux quand je vois que les habitants ont du mal à y rester. J’ai constaté que le village s’est déplacé d’au moins cent mètres du rivage depuis 2022. Et cela est vraiment triste, car cela démontre clairement l’élévation du niveau de la mer accompagnée d’une érosion côtière intense.
Les habitants pointent du doigt la construction au niveau de la côté de Conakry. Est-ce que cela peut être scientifiquement démontré ?
Scientifiquement, si l’on applique la loi d’Archimède, un corps plongé dans un récipient plein d’eau provoque un débordement à cause du volume déplacé. Mais ici, nous sommes face à un phénomène global. La cause principale reste l’émission des gaz à effet de serre, qui réchauffent le climat, provoquent la fonte des glaciers, notamment au Groenland, et entraînent la dilatation des océans. Cette combinaison augmente la houle, qui génère des vagues puissantes à plusieurs kilomètres du rivage et les projette sur les côtes.
Il y a aussi les travaux de construction du port minéralier qui sont pointés du doigt. Qu’en dites-vous ?
Personnellement, je pense qu’il pourrait s’agir de simples coïncidences. Tant qu’aucune étude scientifique ne démontre que ces travaux augmentent l’intensité des vagues, je ne peux accuser personne.
C’est pourquoi j’interpelle les universités et les centres de recherche à approfondir l’étude de ce phénomène. Le gouvernement doit aussi soutenir davantage la recherche scientifique.
J’ai mené une étude entre 2021 et 2022 pour le PNUD sur la vulnérabilité des zones côtières de Guinée face au changement climatique. Les scénarios montrent que la houle provenant du large, renforcée par la turbulence atmosphérique, atteint directement des zones comme Kaback. À Conakry, cette houle est atténuée grâce à la disposition naturelle des îles de Loos. Ce sont donc des dynamiques naturelles renforcées par les effets du réchauffement climatique.
Qu’est-ce qui provoque la rareté des ressources halieutiques ?
La cause principale est la surexploitation. Aujourd’hui, certaines espèces sont massivement pêchées, même si elles produisent beaucoup de juvéniles. Si nous ne mettons pas en place des mesures, comme le repos biologique annuel, cela va s’aggraver. Il y a aussi l’augmentation du nombre de bateaux de pêche, la pollution plastique qui perturbe les habitats de reproduction, ainsi que la pression des activités humaines comme la riziculture en bord de mer. Tous ces facteurs nuisent à la régénération des espèces halieutiques.
Boèboè Beavogui
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