À l’occasion de l’an deux de l’avènement du CNRD au pouvoir, l’émission mirador du Groupe Fréquence Médias (GFM) a reçu mardi 05 septembre 2023 le doctorant Oumar Totiya Barry pour dresser le bilan de la gestion du secteur minier guinéen. Dans cette interview à bâton rompu, Oumar Barry Totiya et les journalistes chroniqueurs ont survolé l’actualité minière guinéenne des deux dernières années. Du plan légal et réglementaire au plan institutionnel en passant par les aspects économiques, sociaux et environnementaux, le bilan semble mitigé à en croire l’universitaire spécialiste du secteur extractif et de la géopolitique minière.
GFM : Les deux ans du CNRD ont été marquée par une forte activité du secteur économique minière du point de vue négociation sur le Simandou et des décisions qui ont été prises pour renforcer le cadre légal de la gestion du secteur minier. Quel aperçu peut-on avoir du bilan minier du CNRD ?
OTB : En tenant compte de l’outil principal qui encadre et organise les grandes reformes de cette transition qui est le Programme de Reforme Intermédiaire (PRI). A l’intérieur de ce programme le secteur minier occupe une place prépondérante parce que quand vous prenez les 5 axes stratégiques au moins il y a 3 axes qui ont un lien direct avec le secteur minier. Globalement, quand vous prenez ces 3 axes il y a au moins 42 actions liées à des reformes dans le secteur minier. Sur ces 42 activités vous avez 11 activités au moins qui font l’objet de reformes ou de mise en place. Il y a aussi eu beaucoup d’annonces en termes de réforme dans le secteur minier, beaucoup de volonté de changement mais qui se sont heurtés à ce qu’on peut appeler des facteurs structurants dans le secteur minier. Ce sont premièrement le facteur géopolitique internationale, deuxièmement c’est la finance, troisièmement ce sont des facteurs socioéconomiques et même environnementaux qui ont fortement ralenti les résultats sur le terrain.
GFM : Est-ce qu’il est aujourd’hui possible de dire par exemple sur le dossier Simandou que la junte s’est bien prise puisque le président de la transition en a fait une priorité en témoigne la gestion de ce dossier depuis la présidence par le ministre directeur de cabinet Monsieur Djiba Diakité ?
OTB : Il y a beaucoup de non-dits en ce qui concerne le Simandou. D’abord c’est par rapport à l’opportunité d’engager ces négociations. Ce qu’on a appelé les accords-cadres. Il y avait déjà des travaux mis en œuvre avant l’arrivée du CNRD et puis des avancées majeurs. Il y avait aussi beaucoup d’acquis au temps d’Alpha Condé (ndlr). Parce qu’il y a ce qu’on ne dit pas dans les accords sur le Simandou au temps d’Alpha Condé. Il y avait même la possibilité de construire une aciérie à l’horizon 2036. C’est que, c’était un projet principalement piloté par Winning Consortium Simandou. Donc Rio Tinto était plus ou moins en dehors de ces activités. Ce qu’il faut mettre à l’actif du CNRD, c’est le retour de Rio Tinto dans ce projet et ce qu’on a appelé les 15% entre guillemet gratuit. Donc l’opacité et la question qu’on peut se poser sur la régularité même des négociations menées. Parce que selon le code minier pour changer ces accords il fallait passer par un certains nombre de processus notamment l’avis de la commission nationale des mines, le CNT, etc. On a vu que ça été mené de façon unilatérale et solitaire à partir d’un communiqué. Pour le moment ce n’est pas parti au CNT et la commission nationale des mines n’a pas été associée à ces reformes. Ça été mené de façon très solitaire et puis de façon très logé à la présidence de la République. Même le ministère des mines n’était pas très imprégné dans les négociations. Il y a eu tellement de non-dit que c’est tout dernièrement on s’est rendu compte avec l’annonce du PCA de Rio Tinto que ce qu’on a appelé les 15% gratuit n’est pas de la gratuité parce que l’option du porte en eau profonde a été abandonnée. Ce qui pourtant était déjà un acquis avec Winning Consortium. Donc l’arrivée de Rio Tinto aurait pu renforcer les acquis qui étaient déjà là.
GFM : Pourquoi avoir abandonné l’option d’une infrastructure aussi importante dont on en parle tant depuis l’annonce du projet Simandou ?
OTB : C’est parce que tout simplement on n’a pas une lecture claire du contenu de ces accords signés. Parce qu’on nous a dit ici que la Guinée a obtenu 15% de participation gratuite dans les infrastructures du Simandou. Est-ce que cette gratuité était lié en échange de l’abandon de certains aspect des infrastructures notamment le port qui est très couteux en termes de financement ? C’est ce qu’on est en train de comprendre plus ou moins ces derniers temps. Pourtant il y a des chose qui ne sont pas révélées dans le cadre de ces infrastructures du Simandou. Ce qu’il faut comprendre est que le principal gain de la Guinée dans ce type de projet c’est d’abord les infrastructures. C’est à la fois les infrastructures portuaires mais aussi les infrastructures ferroviaires. On a vu que cette perte de l’option du port en eau profonde n’est pas forcément dans l’intérêt de la Guinée. Parce que ce port peut servir à désengorger le port de Conakry mais créer aussi un nouveau pôle économique à partir du corridor sud qui est Forécariah. Donc ce n’était pas une bonne option en ce qui concerne son abandon.
GFM : Est-ce que l’option d’abandon du port en eau profonde a une répercussion sur le chemin de fer ?
OTB : Il n’y a pas de répercussion sur le chemin de fer parce qu’on ne peut pas transporter les minerais de Damaro ou de Beyla jusqu’à Forécariah par camion. Ce n’est pas possible. Le chemin de fer est obligatoire. Ce sont des travaux gigantesques avec des tunnels de près de 8 km à certains endroits. Ce qui concerne le port, est que désormais ça sera des barges. Nous allons transporter les minerais comme on le fait à Boké dans ces plateaux géant sur le fleuve Moribayah puisque c’est un bras de mer. Et puis ces barges vont être remorqués en haute mer où attendent les keep size et pour faire ce qu’on appelle le transbordement. Ça à la fois un impact très considérable sur l’environnement mais aussi sur les communautés de pêcheurs dans ces zones. Parce qu’on a vu l’exemple de Boké où les pêcheurs sont énormément impactés par ce type de transport.
GFM : Est-ce que l’abandon de l’option du port en eau profonde entraine une réduction du cout du projet ?
OTB : C’est ce qu’on nous dit officiellement, l’option du port apparait à la fois être couteuse financièrement mais aussi en termes de temps et on a l’impression que les autorités veulent aller assez vite. Donc il faut abandonner l’option du port. Normalement, l’arrivée de Rio Tinto aurait pu créer ce qu’on appelle une économie d’échelle. C’est-à-dire renforcer les infrastructures sur place et non une réduction du plan initial qui était là avec Winning Consortium mais c’est l’inverse. C’est pourquoi c’est très compliqué cette position de Rio Tinto en Guinée. Ils sont là depuis 1997. A chaque fois qu’ils reviennent dans le jeu c’est une complication du processus plutôt qu’un avancement.
GFM : Ces complications sont dues à la partie guinéenne n’est-ce pas ?
OTB : C’est la nature des négociations. Vous savez le Simandou, il y a un enjeu géopolitique internationale très forte qu’on ne voit pas souvent en Guinée. Derrière Rio Tinto et Winning Consortium Simandou, il faut voir la lutte que la chine et les États-Unis se mènent en terrain guinéen sur cette montagne de fer.
GFM : La fixation du prix de référence pour la bauxite guinéenne peut-elle être considérée comme un acquis du CNRD ?
OTB : Par rapport aux acquis dont vous parliez tout à l’heure, il y a eu quand-même beaucoup de tentatives de reforme du prix de référence. Aujourd’hui on voit d’ailleurs pour le dernier bulletin statistique publié au mois de mars, on a une idée du prix aujourd’hui de la bauxite guinéenne en Chine. C’est 65 dollars la tonne, en Australie c’est 48 dollars. sur le bulletin statistique on voit apparaître le prix. Reste à savoir est-ce que ce prix va être appliqué par les entreprises minières ou par les services des impôts pour calculer ce que les entreprises donnent.
GFM : L’une des préoccupations du CNRD dès son accession au pouvoir c’était le respect du contenu local et dans ce sens une vulgarisation avait été faite à ce que les entreprises minières le mettent en application. Est-ce qu’après cette vulgarisation on peut dire qu’aujourd’hui la donne a changé ?
OTB : Il n’y a pas eu pour le moment une évaluation exacte. Il y a eu un processus qui a été entamé avec un cabinet international. On n’a pas aujourd’hui l’évaluation du niveau d’application du contenu local par les entreprises minières. Il y a une loi qui a été voté mais qui n’est pas encore vulgarisé. Elle fait partie d’ailleurs de l’une des priorités du département des mines. Mais il y a aussi un autres élément qu’il faut relever. C’est le suivi de proximité des projets miniers. C’est un élément très import. Il y a de plus en plus de mission de suivi des projets miniers et même des données plus ou moins très précises sur la situation des projets miniers par ressource. Il y a un service qui s’occupe de cela. Il y a une publication hebdomadaire des statistiques sur la production de la bauxite. Avant c’était plus ou moins trimestriel. Sous le CNRD il y a une certaines régularité même s’il y a des manipulation de chiffre quelque part qu’il faut tout de suite relever. Si vous voyez le dernier bulletin statistique vous remarquez au niveau de Friguia, les chiffres en termes d’emploi on vous parle de 3 000 emplois alors qu’en 2020 déjà on était à 1 400 travailleurs. Donc comment de 2020 à 2023 on peut passer de 1400 à 3 000 travailleurs pendant que la production a chuté. Il faut faire attention à ce chiffre. Il y a une sorte de manipulation à ce niveau.
GFM : Par rapport au défis et insuffisance, quid de la mise en demeure que le colonel avait fait aux entreprises minières de faire des propositions par rapport à la construction des raffineries de bauxite ?
OTB : C’était l’une des grandes annonces à l’arrivée du CNRD cette question de transformation de nos ressources minières. Il y a eu plusieurs obstacles qui ont adoucis la mise en œuvre de cette réforme. C’est d’abord les obstacles juridiques : les entreprises minières ont brandi des conventions qui leur permettent plus ou moins de contourner cette obligation. Je parle par exemple de GAC. C’était un projet de raffinerie au départ mais ils ont réussi par des avenants à passer de raffinerie à un projet de bauxite au niveau des différentes étapes. Donc aujourd’hui il y a la question technique c’est-à-dire la question énergétique qui a été un obstacle majeure mais aussi il y a la question de financement. Donc à ce niveau il y a eu beaucoup d’obstacles qui n’ont pas permit selon le calendrier fixé par le gouvernement de réaliser ces questions de raffineries et donc c’est en train d’être enterré.
Il y a aussi la question de la mobilisation et de la gestion des ressources issu du secteur minier. Quand vous prenez la question du FODEL, c’est un payement local. C’est-à-dire un payement des entreprises au niveau des collectivités locales. Avant l’arrivée du CNRD, il y avait des fonds dans les comptes FODEL. C’était des milliards qu’il y avait là-dedans et depuis 2021 les entreprises ont continué régulièrement à payer dans les comptes Fodel. Aujourd’hui on est à prêt de 300 milliards de francs guinéens payés par les différentes entreprises. Elles publient ces payement dans la presse. Personne ne sait aujourd’hui la situation de ces montants.
Dans quel compte se trouvent-ils ? Comment les utilisent-on ? On sait que le ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation a récupéré la gestion de ces fonds FODEL mais personne ne sait exactement. Ce qui est paradoxale, c’est que ceux qui ont géré antérieurement ces fonds qui étaient dans ce qu’on appelait à l’époque Comité de Supervision sont aujourd’hui les mêmes qui sont à la tête du MATD. Comment vont-ils auditer leur passif ?
GFM : Dans le contexte actuel, est-ce qu’il est objectif pour le pays d’aller vers l’implantation de ces raffineries ? Est-ce que le contexte s’y prête ?
OTB : C’est une question très complexe par ce que la raffinerie c’est un enjeu de souveraineté industrielle pour la Guinée mais aussi un enjeu de souveraineté économique parce que derrière il y a de l’argent, il y a des revenus qui augmentent. Vous savez pendant très longtemps cette question de raffinerie s’est heurtée à des difficultés. Cela ne date pas de l’ère du CNRD. La difficulté juridique que je voulais mentionner tantôt parce que dans les conventions les entreprises disent le plus souvent « au moment opportun, nous allons étudier les possibilités de développer les raffineries. » Donc c’est très subtil après d’échapper pour dire que les conditions ne siéent pas. Après il y a la question énergétique mais aussi il y la question économique et la question géopolitique qui est là. Parce que la plupart de ces entreprises ont leur propre raffinerie. Donc est-ce qu’elles vont construire des raffineries en Guinée ?
cela reviendra à dire qu’elles vont fermer les autres raffineries. Vous avez vu le cas de GAC, elle a sa raffinerie à Dubaï. Si elle construit une en Guinée, elle va fermer celle de Dubaï. Si Alcoa construit une raffinerie à Kamsar, il va fermer celle des États-Unis. Donc vous avez vu, il y a la cartographie même, la structure de cette raffinerie à l’international qui n’est pas très a l’avantage de la Guinée mais c’est une question qu’il faut pousser.
Il y a la question même du cadastre minier, parce qu’on nous a annoncé ici un assainissement. Mais je pense que c’est plus une communication politique parce que quand vous regardez les permis qui ont fait l’objet de retrait ce sont des permis de recherche qui étaient caduques. C’était un processus automatique. Dès qu’un permis de recherche fait plus de trois ans, il devient caduques. On n’avait pas besoin de faire une publicité autour.
GFM : En dépit des acquis, qu’en est-il aujourd’hui des défis et les insuffisances ?
OTB : Moi je pense que le principal défis dans les reformes annoncées c’est sur la transparence et l’inclusivité dans le processus. On a l’impression que dans le secteur minier, il y a une démarche plus solitaire du gouvernement. Quand vous prenez la question du prix de référence, la question des raffineries et même la question de Simandou. Un tel projet qui a une envergure internationale, demande une certaine adhésion des forces vives notamment la société civile et les communautés. Donc si vous vous réunissez au niveau du palais entre trois ou quatre personnes vous signez un projet d’une telle envergure sans tenir compte de l’opinion, de l’adhésion même des communautés.
Vous savez, il y a une forte dimension foncière autour du Simandou. Quand vous prenez les zones comme Beyla, Kérouané, il y a des centaines et des centaines d’hectares qui ont fait l’objet d’expropriation. Il y a la question du contenu local mais aussi celle environnementale.
Donc il faut faire des démarches pédagogiques qui consiste à informer, sensibiliser pour faire adhérer les forces sociales notamment la société civile. Je pense que ça été un élément qui a beaucoup joué contre ces reformes. Mais il y a aussi la question de transparence des contrats signés. La Guinée avait obtenu le meilleur score par le passé en termes de publication des contrats. On avait obtenu la note de 100. C’était d’ailleurs la plus haute note en termes de publication des contrats. Depuis 2020, lorsqu’il y a eu la dernière évaluation ITIE, on est passé de 100 à 60. On a perdu 40 points. Et là on a encore plusieurs accords signés sous le CNRD mais on n’a pas entendu parler de publication de ces accords. Donc ce jeu de gel des fonds fait qu’actullement personne ne sait quelle est la situation réelle. D’ailleurs on a appris qu’une partie des fonds de l’ANAFIC a servit à payer les enseignants contractuels. Ce n’était l’objectif de ces fonds. Je ne sais pas comment on peut appeler ça. Cette question de transparence sous la gouvernance du CNRD
GFM : Deux ans de gestion du secteur minier du CNRD bilan négatif ou mitigé ?
OTB : Bilan mitigé, beaucoup d’annonces, quelque résultats mais aussi beaucoup d’insuffisance et de limites en termes de transparence mais aussi en termes d’inclusivité dans les démarches.
Boèboè Béavogui