Par Magali Reinert
11 octobre 2024 à 14h51
Mis à jour le 12 octobre 2024 à 09h00
Durée de lecture : 4 minutes
Une étude fait le lien entre de fortes émissions de CO2 et des périodes de forte inclinaison de la Terre par rapport au Soleil. L’obliquité actuelle de la planète pourrait ainsi aggraver le réchauffement d’origine humaine.
Quel rapport entre l’obliquité de la Terre — l’inclinaison de son axe — et le CO2 ? Publiée le 11 octobre dans Nature Geoscience, une étude montre l’existence d’augmentations abruptes des concentrations de CO2 au cours des 500 000 dernières années lorsque la Terre est fortement inclinée. Un résultat inattendu à prendre en compte dans les prévisions d’augmentation des concentrations en gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Pendant 6 000 ans, jusqu’au début de l’ère préindustrielle, la quantité de CO2 dans l’atmosphère a été relativement stable : autour 280 parties par million (ppm), contre 420 ppm aujourd’hui. En remontant dans les archives climatiques que sont les carottes de glace, des chercheurs ont découvert des « sauts » de CO2, des augmentations d’une dizaine de ppm dans l’atmosphère qui interviennent dans un laps de temps très court, de l’ordre d’une centaine d’années.
« Ces sauts, bien qu’étant des évènements majeurs, se produise à une vitesse et une amplitude environ dix fois moins importantes que les émissions humaines actuelles de CO2 », précise Étienne Legrain, chercheur à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE) et premier auteur de l’étude.
Effondrement de l’Amoc
Vingt-deux sauts ont ainsi été comptabilisés sur le dernier demi-million d’années. « Ce phénomène a été identifié récemment par les paléo-climatologues qui ne sont capables que depuis une quinzaine d’années d’avoir une précision centennale dans la reconstitution des concentrations en gaz à effet de serre dans l’atmosphère », explique Étienne Legrain. Ces résultats sont le fruit d’une collaboration internationale, en particulier entre l’IGE et l’Université de Bern qui avait fait une première publication sur le sujet dans Science en 2020.
« Notre nouvelle étude identifie sept sauts supplémentaires mais elle apporte surtout une réponse sur l’origine de ces sauts à laquelle on ne s’attendait pas : ils ont lieu très majoritairement pendant les périodes de forte obliquité de la Terre », souligne le climatologue. Or, la Terre — dont le degré d’orientation au soleil varie suivant les interactions avec les autres planètes — est actuellement dans cette configuration astronomique de forte obliquité. Autrement dit, les pôles sont tournés vers le soleil.
La situation actuelle va-t-elle déclencher un nouveau « saut » de CO2 ? Pas forcément, car l’inclinaison de la Terre ne suffirait pas à entraîner de telles émissions. Un autre facteur serait nécessaire selon les chercheurs. « Ces sauts de CO2 interviennent en effet généralement lors de deux évènements concomitants : la forte obliquité et l’effondrement de l’Amoc », souligne le climatologue — l’Amoc désigne la « circulation méridienne de retournement atlantique », un ensemble complexe de courants océaniques qui vont de l’équateur aux pôles. S’il reste encore beaucoup de questions pour expliquer ce phénomène, les scientifiques émettent plusieurs hypothèses.
Disparition des forêts
« D’après notre étude, le relargage de CO2 viendrait des stocks de carbone de la biosphère terrestre et non des océans », pointe Étienne Legrain. Autrement dit, ce sont les forêts qui seraient menacées lorsque la Terre s’incline de manière trop radicale. La plupart du temps, cette menace serait contrebalancée par les courants océaniques et leur rôle régulateur, leur capacité à répartir la chaleur à l’échelle du globe.
Mais lorsque l’Amoc s’effondre, c’est-à-dire lorsque ces courants ne remplissent plus cette fonction régulatrice, les forêts n’y survivent pas et leur disparition rapide serait ainsi responsable de ce pic de CO2 visible dans les archives climatiques. Or, si les activités humaines n’interviennent pas sur l’obliquité de la Terre, elles pourraient perturber fortement l’Amoc.
Aujourd’hui, le devenir de l’Amoc reste une grande question pour les climatologues. Mais le Giec redoute que le réchauffement global entraîne son ralentissement voire son effondrement. « Un effondrement de l’Amoc aurait des conséquences catastrophiques pour la planète puisqu’il changerait le système climatique tel que le connaît aujourd’hui. S’il reste encore de nombreuses inconnues sur la nature et l’ampleur de ces changements, notre étude éclaire un phénomène particulier, le relargage de CO2 par la biosphère terrestre en cas d’effondrement futur de l’Amoc », conclut le chercheur.