Les manifestations de dimanche semblent être le résultat d’un épuisement de la société dû à une crise économique et sanitaire aiguë.
La pandémie du coronavirus et les mesures économiques prises par le gouvernement ont rendu la vie à Cuba de plus en plus difficile.
Ce qui irrite les populations, éprises de liberté et de meilleures conditions de vie.
Des milliers de personnes sont descendues dans les rues des principales villes de l’île en scandant des slogans tels « liberté » et « à bas la dictature ».
Une situation inédite d’autant que les manifestations sont rares sur cette île des Caraïbes, où l’opposition au gouvernement est étouffée.
Plusieurs personnes, dont des opposants au régime, sont arrêtées et l’internet est coupé dans le pays.
Incertitude à La Havane
C’est la confusion totale au sein de la société cubaine où les parents des manifestants de dimanche n’ont aucune nouvelle de leurs proches.
Depuis lundi matin, les commissariats de police de la capitale et de plusieurs provinces sont remplis de personnes qui cherchent des nouvelles de leurs proches.
« J’ai été au commissariat deux fois et ils ne veulent pas me dire où est mon fils. Je suis désespéré », confie à BBC Mundo, Ariel Gonzalez, le père d’un étudiant en médecine de 21 ans qui est arrêté pendant la manifestation.
« Je sais qu’ils l’ont un peu battu parce que d’autres de ses collègues qui étaient là me l’ont dit. Au commissariat, ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me dire où il était parce que ce n’était pas la police qui avait procédé à l’arrestation, mais une autre « institution » », dit-il.
Un décompte du site indépendant d’aide juridique Cubalex, fait état d’une centaine d’arrestations dimanche, parmi lesquels des leaders de l’opposition et des artistes connus (dont le leader du Movimiento San Isidro, un parti d’opposition).
Mais la rareté de l’accès à Internet, indique ledit site, rend les plaintes des proches plus difficiles à recevoir.
« Nous recevons des noms tout le temps. Certains ont été libérés, mais leur nombre devrait augmenter », déclare Laritza Diversent, directrice de Cubalex, à BBC Mundo.
Plusieurs médias indépendants à Cuba ont signalé que les détentions se poursuivent dans certains endroits, malgré le calme apparent signalé lundi.
Carlos Alberto, un jeune homme qui a participé dimanche à la manifestation à La Havane, a confié lundi à BBC Mundo qu’il se cache chez sa petite amie par crainte d’être arrêté.
« Un de mes amis est arrêté chez lui. J’ai peur que la même chose ne m’arrive. Nous n’avons rien fait de mal. Nous demandions la liberté et avec cette attitude, ils montrent ce qu’ils sont : une dictature », dit-il au téléphone.
La version du gouvernement
Le gouvernement cubain, dans ses messages après les manifestations, a tenté de présenter les manifestations comme le résultat d’une campagne conçue par les États-Unis.
Selon M. Díaz-Canel, Washington mène « une politique d’asphyxie économique » afin de « provoquer des explosions sociales, des malentendus et du mécontentement » sur l’île.
« Ils encouragent à aller de manière désordonnée pour exprimer et soulever ce que nous pouvons faire à travers les canaux de communication que nous avons », affirme-t-il.
Lundi après-midi, les médias officiels ont commencé à publier des informations selon lesquelles une récente campagne sur les réseaux sociaux visant à dénoncer l’effondrement du système de santé dans la pandémie du coronavirus « est lancée depuis l’étranger ».
Le ministre cubain des Affaires étrangères, Bruno Rodriguez, a quant à lui mis en doute le message du président américain Joe Biden, qui avait auparavant appelé le gouvernement de l’île à « écouter son peuple et à répondre à ses besoins en ce moment vital, au lieu de s’enrichir. »
Les autorités cubaines désignent traditionnellement les États-Unis et leur embargo comme responsables des principaux problèmes de l’île et accusent les opposants d’être des « mercenaires à la solde de l’impérialisme ».
Comment Cuba en est-il arrivé là ?
Toute révolution ou soulèvement a toujours été facilité par des éléments déclencheurs.
Mais quels ont donc été les principaux moteurs des protestations observées dimanche dans la grande île ?
Les principales causes de cette situation sont la crise du Covid-19, la situation économique et l’accès à internet.
- La crise du coronavirus
Dimanche, l’île a officiellement fait état de 6 750 cas et de 31 décès, bien que de nombreux groupes d’opposition affirment que les véritables chiffres sont probablement bien plus élevés.
La semaine dernière, le pays a battu des records d’infections et de décès quotidiens, poussant les centres de santé au bord de l’effondrement.
Plusieurs Cubains ont affirmé à la BBC que leurs proches sont morts chez eux sans recevoir les soins médicaux dont ils avaient besoin.
C’est le cas de Lisveilis Echenique, qui révèle que son frère, âgé de 35 ans, est mort chez lui faute de place pour lui à l’hôpital, et de Lenier Miguel Pérez, dont sa femme enceinte est morte à cause de ce qu’il a qualifié de « négligence médicale ».
Ces derniers jours, des messages sur les médias sociaux portant le hashtag #SOSCuba ont appelé à une intervention humanitaire pour faire face à ce qui est considéré comme une situation critique sur l’île.
Des milliers de Cubains s’y sont joints, tandis que plusieurs vidéos d’hôpitaux débordés sont devenues virales.
Malgré une production de ses propres vaccins, Cuba ne maitrise plus la pandémie qu’il avait pourtant réussi à contenir en 2020.
Dans un message dimanche, le président Miguel Díaz-Canel a déclaré qu’il considérait la situation actuelle du coronavirus comme comparable à celle d’autres pays.
- La situation économique
Avec la quasi-paralysie du tourisme, l’un des moteurs de l’économie cubaine, la pandémie de coronavirus a eu un impact profond sur la vie économique et sociale de l’île.
À cela s’ajoutent une inflation croissante, des coupures de courant, des pénuries de nourriture, de médicaments et de produits de base.
Au début de l’année, le gouvernement a proposé un nouveau train de réformes économiques qui, tout en augmentant les salaires, a déclenché une flambée des prix.
Des économistes comme Pavel Vidal, de l’Université Pontificia Javeriana de Cali en Colombie, estiment que les prix pourraient augmenter de 500 % à 900 % au cours des prochains mois.
Depuis l’année dernière, le gouvernement a ouvert des magasins où les Cubains peuvent acheter de la nourriture et des produits de première nécessité en devises étrangères, dont il y a pénurie sur l’île.
Mais ces magasins ont provoqué la colère de la majorité des habitants, qui sont payés en pesos cubains, la monnaie nationale.
Les longues files d’attente de Cubains faisant la queue pour acheter des produits tels que de l’huile, des savons ou du poulet sont devenues monnaie courante pendant la pandémie.
Les médicaments de base sont devenus rares dans les pharmacies et les hôpitaux et, dans de nombreuses provinces, on a commencé à vendre du pain à base de citrouille en raison du manque de farine de blé.
Des Cubains interrogés par la BBC la semaine dernière signalent que certains centres médicaux n’ont pas d’aspirine, tandis que l’île connait des épidémies de gale et d’autres maladies infectieuses.
Le mois dernier, le gouvernement annonce l’interdiction temporaire aux banques d’accepter les dépôts en dollars, la principale devise que les Cubains reçoivent sous forme de transferts de fonds de l’étranger.
Cette décision est considérée par certains économistes comme la restriction la plus sévère imposée à la monnaie américaine depuis le gouvernement du défunt président Fidel Castro.
Le gouvernement attribue cette décision au renforcement des sanctions américaines qui limitent sa capacité à utiliser la monnaie à l’étranger.
Dans son discours télévisé de dimanche, le président Díaz-Canel signale qu’il s’agit du « principal problème qui menace la santé et le développement de notre peuple ».
- L’accès à Internet
Sous la présidence de Raúl Castro, la libéralisation de l’accès à l’internet a conduit à une plus grande connectivité sur l’île.
Depuis lors, les Cubains utilisent les réseaux sociaux pour exprimer leur mécontentement à l’égard du gouvernement.
Aujourd’hui, une grande partie de la population – principalement les jeunes – a accès à Facebook, Twitter et Instagram, qui sont leurs principales sources d’information provenant des médias étatiques et indépendants.
Ces réseaux sociaux sont devenus des plateformes permettant aux artistes, aux journalistes et aux intellectuels de revendiquer leurs droits ou d’appeler à des protestations.
En effet, les manifestations de dimanche ont été en partie organisées sur les médias sociaux, où la nouvelle s’est répandue.
Le gouvernement cubain affirme que les réseaux sociaux sont utilisés par les « ennemis de la révolution » pour créer des « stratégies de déstabilisation » qui suivent les manuels de la CIA (services de renseignements américains).
Et pourtant, il y a vingt-sept ans, en août 1994 sur le front de mer du Malecón de La Havane, lors de la première grande manifestation qu’avait connue Cuba depuis le début de la révolution communiste de Castro, le scénario était très différent.
En effet, de nombreux Cubains n’avaient aucune idée de ce qui s’était passé à l’époque dans la capitale, puisqu’il n’y avait pas internet.
Qu’est-ce qui pourrait bien se passer au lendemain de ces violentes manifestations dans l’île ?
La réponse est incertaine. Nul ne sait ce que seront les réactions du gouvernement et des manifestants.
Dans l’appel à ses partisans, M. Díaz-Canel avait demandé dimanche aux « révolutionnaires » et aux « communistes » non seulement de sortir pour affronter les manifestants, mais aussi « à partir de maintenant et pendant tous ces jours ».
Des artistes et d’autres manifestants ont déjà été, par le passé, emprisonnés par le gouvernement cubain pendant plusieurs mois : c’est le cas de Maikel Castillo, qui a mené une manifestation en avril, et de Luis Robles, un jeune homme qui est en prison depuis décembre pour s’être tenu dans une rue de La Havane avec une pancarte appelant à la libération de Denis Solis, un rappeur détenu.
Dans leur élan de liberté, les manifestants ont montré leur détermination à faire face à leur gouvernement en place.
« Nous n’avons pas peur. Nous voulons du changement, nous ne voulons plus de dictature », souligne un manifestant à San Antonio.
Tout au long de la journée de lundi, et pendant des heures, il était encore difficile de savoir avec certitude ce qui s’y passait : les rumeurs de nouvelles manifestations allaient et venaient sur les médias sociaux.
Plusieurs Cubains interrogés par BBC Mundo dans trois provinces différentes indiquent qu’ils n’ont aucune idée si quelque chose se passe à deux pâtés de maisons de chez eux.
« Les rues sont pleines de policiers à chaque coin de rue depuis la nuit dernière. Pratiquement, la seule chose que vous voyez passer, ce sont des patrouilles de police », renseigne Mairelis, de Centro Habana dans la capitale.
rfi.fr