Cette situation ‘’floue’’ a poussé la jeunesse de Dinguiraye d’accuser le Préfet Colonel Mamadou Lamara Diallo et son staff d’avoir détourné une partie du fonds FODEL. Elle a organisé une manifestation le 8 décembre 2020 dans les rues de la commune urbaine pour exiger le remboursement du présumé montant détourné, et une gestion rationnelle du FODEL.
La préfecture de Dinguiraye est située à près de 500 km au Nord-est de Conakry. Elle est subdivisée en huit collectivités : Dinguiraye-Centre, Banora, Dialakoro, Diatiféré, Gagnakali, Kalinko, Lansanya et Sélouma. En 2016, la population de Dinguiraye est estimée à 210 043 habitants, selon l’institut national des statistiques. Comme plusieurs autres préfectures de la Guinée, Dinguiraye est une localité minière où la société minière de Dinguiraye (SMD) exploite de l’or.
Au titre du FODEL, lancé fin 2019, la SMD a payé pour l’exercice 2018-2019 à la préfecture de Dinguiraye, 12 milliards 237 millions 362 mille 844 francs guinéens. Ainsi, pour l’utilisation de ce montant, un total de 262 projets a été présenté et validé dont 21 projets économique, 20 sociaux, 124 projets des jeunes et 97 projets pour les femmes.
En application du décret D/2017/285/PRG/SGG du 31 décembre 2017, portant modalité de constitution et de gestion du FODEL, un arrêté conjoint des ministres en charge des Mines, de l’Administration du Territoire, et des Finances, a été pris en avril 2019, sur les modalités d’utilisation, de gestion et de contrôle du FODEL. En plus, un comité interministériel chargé de la supervision, du contrôle et du mécanisme de gestion du FODEL a été mis en place à travers l’arrêté conjoint N° 2346 du MMG/MATD/CAB/2019.
Controverse autour de la gestion du FODEL
Dans la commune urbaine de Dinguiraye, conseillers communaux, acteurs de la société civile et bénéficiaires, tous parlent de mauvaise gestion du FODEL. Ils accusent les autorités préfectorales, en tête, le Colonel Mamadou Lamarana Diallo « d’avoir mal utilisé l’argent du FODEL ». Absent de Dinguiraye lors du passage de l’équipe d’Action Mines, le Préfet a été représenté par le secrétaire général des collectivités. Ce dernier parle de « manque d’information, [pas question de] détournement ». Et la polémique enfle !
Le 4ème vice- maire de la commune urbaine de Dinguiraye, président de la commission habitat et urbanisme ne passe pas par quatre chemins pour dire : « le montant des 12 milliard est très mal géré. Parce que le CAGF qui doit gérer ce montant a été meublé par copinage. Il y a des cadres dans ce comité qui ne répondent pas aux critères de la constitution du CAGF. Ils ont pris les gens parce qu’ils sont du même bord politique, pas parce qu’ils peuvent. Et ceci n’a pas d’impact positif sur le développement de la localité ».
Bah Oumar salue l’initiative de la mise en place du FODEL. Si l’ambition ayant conduit au FODEL est respectée, il estime que c’est une opportunité pour les fils des communes abritant les mines. Mais, déplore-t-il, « en Guinée, tout est devenu politique ».
Alors que le manuel de procédure indique que toute action financée par le Fodel doit ressortir du plan de développement local (PDL) et du plan annuel d’investissement (PAI) de la collectivité concernée, des vices de procédure sont déjà constatés selon l’élu. M. Bah explique : « les responsables au niveau de la préfecture nous ont envoyé des motos, mais aucun maire n’a demandé qu’on l’achète une moto. Cela est contraire au contenu du manuel de procédure. Du maire au dernier conseiller, personne ne dira qu’il a demandé une moto. Et cela ne figure pas dans les PDL et PAI de la commune urbaine. Nous avons entendu parler des projets, mais nous n’avons pas été consultés. On se demande comment l’argent a été obtenu. Par exemple, le projet d’aménagement de 450 hectares de Bambadala à coût de milliard est un échec. Ils ont jeté l’argent dans le vide. Bref, il y a eu des défaillances dans la gestion du FODEL à Dinguiraye », tranche-t-il.
L’élu précise que la commune urbaine devait avoir 1 milliard 400 millions et quelques, mais les autorités préfectorales leur ont présenté 1milliard 200 millions et poussière plus 30 motos. A la commune, ils se sont demandés comment les motos ont été obtenues. « C’est après enquête qu’on nous a informés que le prix des 30 motos soit 240 millions a été prélevé sur le montant d’1 milliard 400 millions et quelques. Ils disent qu’il faut remettre les motos aux jeunes pour faire de motos-taxis. C’est une chose qui ne répond pas à notre besoin », affirme-t-il.
Bakary Traoré, 1er Vice Maire de la commune urbaine de Dinguiraye a une autre version quant à l’achat des motos et à l’aménagement du bas-fond de Bambadala. Il rapporte que le comité conjoint leur a informé : « c’est une initiative présidentielle » et avoue que Bambadala qui a été financé à plus d’1 milliard 500 millions a été un « échec total ».
Le chargé du développement rural et de l’environnement à la commune urbaine, Bayla Bocoum, aussi 3ème vice maire ajoute : « on nous a parachuté l’achat des motos et le projet d’aménagement du bas-fond de Bambadala en nous mettant devant les faits accomplis. Parce que certains décideurs se sont permis de tout faire. Le consultant, GARBA nous a dit que ces deux projets sont des projets phares, que ça urgeait et il fallait une certaine expérimentation. Mais aucune procédure n’a été respectée, et Bambadala a été un échec ».
Quid du dysfonctionnement dans la gestion du FODEL ?
Plus de quatre mois après l’installation du comité d’appui à la gestion du Fodel (CAGF), le montant dont l’ordonnance de virement a été signé en mars 2020 n’est pas rendu disponible au CAGF encore moins aux collectivités. Pourtant, les autorités préfectorales sont au courant de la situation. Alors que les langues se délient autour de la gestion des 12 milliards GNF, des jeunes de Dinguiraye battent le pavé en début décembre. « On entendait seulement que des motos sont achetées, et un domaine a été aménagé. Et s’endetter pour moi sans m’informer, c’est contre moi », résume Oumar Bah.
La sortie des jeunes le 8 décembre a poussé les acteurs impliqués dans la gestion du fonds à clarifier la situation du fonds. Le chargé de l’urbanisme retrace : « c’est quand les jeunes ont manifesté, le comité conjoint est venu à Dinguiraye, et le CAGF a eu le courage d’informer la population de Dinguiraye sur la gestion du FODEL. C’est dans la salle des réunions que nous avons été informés de l’achat des motos ».
Le chargé du développement rural et de l’environnement de la commune, Bayla Bocoum abonde dans le même sens : « C’est l’arrivée d’une mission conjointe des ministères des mines et de l’administration du territoire plus le consultant qui a permis de clarifier l’existence ou non des 12 milliards du fonds FODEL dans le compte du CAGF logé dans une banque primaire à Faranah. C’est ainsi que l’ensemble des maires ont ouvert des sous comptes FODEL pour recevoir leurs fonds ».
Le secrétaire général des collectivités de Dinguiraye, Souleymane Sétan Samoura explique que le soulèvement des jeunes est dû à un « manque d’informations ». « Parce que, poursuit-il, le manque d’informations créé la confusion. Le montant de 12 milliards a été annoncé depuis plusieurs mois et rien n’a été fait sur le terrain, les gens se sont posés de questions. On devrait attendre que les élections référendaire et présidentielle passent, selon les ministères des Mines et de la Géologie et de l’Administration du territoire et de la Décentralisation pour que la session budgétaire soit tenue. Maintenant que cela est fait, l’argent est actuellement dans les comptes des différentes communes ». Une information confirmée par le Président du CAGF de Dinguiraye, Sékou Omar Diakité.
« Il y a eu beaucoup de questionnement autour du FODEL. Certains jeunes se sont agités et ça créé un tollé dans la cité. Il y a eu des accusations de détournement. Mais je rassure tout le monde que l’argent du FODEL est disponible et les 12 milliards 237 millions 362 mille 844 francs guinéens sont effectivement dans le compte FODEL du guichet de la BCRG de Faranah ».
Le secrétaire général des collectivités rejette la responsabilité sur les élus locaux. « C’est aux maires qui ont reçu cette information qui devraient la restituer à leurs mandants. C’est ce qui n’a pas été fait. N’étant pas informés, les gens ont pensé que l’argent a été détourné. Mais actuellement chaque collectivité est rentrée en possession de son dû », rassure M. Samoura.
Pour que le fodel atteint l’objectif pour lequel il est initié, les différents intervenants recommandent entre autres, le respect du manuel de procédure, la formation des gestionnaires de ce fonds et l’élargissement de l’information à travers la radio rurale et surtout en ligne.
Mamadou Oury Bah