Depuis belle lurette, la situation de la Guinée polarise les débats au sein de l’organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS). Ce fleuve qui traverse quatre pays de l’Afrique de l’ouest et qui porte le nom d’un des quatre recèle d’énormes potentiels qui peinent à être totalement mis en valeur, notamment pour la Guinée où il prend sa source. Pour y parvenir, certains actes sont déjà posés mais beaucoup restent à faire. En plus de sa présence dans les postes de décision, la construction et la gestion des infrastructures aux bénéfices de tous figurent parmi les réclamations que fait la Guinée vis-à-vis de l’organisation. Pour y parvenir, Kabinet Komara ancien haut-commissaire de l’OMVS livre quelques pistes de solution et explique les enjeux majeurs de cette organisation non seulement vecteur d’intégration mais aussi de développement socioéconomique pour la sous-région. M. Komara l’a fait savoir au micro de nos confrères du Groupe Fréquence Médias (GFM).
FIM FM : Quel est le dividende que la Guinée tire en obtenant le poste de haut commissaire adjoint et de sa participation aux autres sociétés du système surtout dans la procédure d’accélération de la construction du barrage de Koukoutamba ?
Kabinet Komara : C’est toujours bon de faire un peu de pédagogie puisque vous avez dit que les gens ont claqué la porte. Ils sont allés puis ils sont revenus. Cette approche martiale là, je ne crois pas que ça se soit passé comme ça. Vous savez la diplomatie est souterraine. Les négociations ont commencé depuis New York quand le président de la transition était là-bas avec le Président Mauritanien. Ils ont décidé d’instruire leurs ministres des affaires étrangères d’engager les pourparlers pour que ceux-ci puissent prendre fin.
L’eau vecteur d’intégration sous-régionale
Je vais vous donner deux raisons pour comprendre cela. Dans le monde, les pays qui dépendent des autres pour leur eau sont les plus vulnérables. Parmi ces pays vous avez l’Égypte. Toute l’eau qui est en Égypte vient d’ailleurs, soit de l’Éthiopie ou des autres pays. Toute l’eau qui est en Mauritanie vient de la Guinée à 100%. La Mauritanie n’a pas de cours d’eau. Elle ne peut pas blaguer avec le fait que l’OMVS soit arrêtée. Notez par exemple que 100% de l’eau consommé à Nouakchott vient du fleuve Sénégal lequel fleuve vient de la Guinée. Donc c’est l’OMVS qui vent de l’eau à la société des eaux de Nouakchott pour alimenter toute la ville qui s’étend sur près de 2OO km. Dakar aussi, 50% de l’eau consommée dans la capitale Sénégalaise est vendue par l’OMVS c’est-à-dire c’est de l’eau qui vient de la Guinée. Vous pensez que ces gens là vont rester sans rien faire face à cette situation. C’est très important que vous comprenez l’urgence.
Quand le Sénégal et la Mauritanie parle d’auto-suffisance alimentaire c’est parce que le Sénégal a déjà mis en valeur 100 000 hectare de terre, la Mauritanie en a 75 000, le Mali aussi un peu. Donc ces pays comptent sur l’eau et la Guinée comprend bien ça. J’étais convaincu que la Guinée et l’OMVS n’allaient pas tirer très loin parce que dans l’histoire il n’y a pas deux pays qui partage le même cours d’eau et qui entré en conflit armé ou en conflit permanent sans le régler. Parce qu’ils sont liés par un cordon ombilical qui est vital. Et tout pays qui veut utiliser l’eau comme source pour assoiffer l’autre ne peut pas tenir parce qu’humainement ce n’est pas possible. Donc la Guinée ne pouvait pas rester longtemps en marge. Je vous ai expliqué comment toute cette eau vient de la Guinée. La Guinée exporte vers les pays voisin quelques dizaines de milliards de mètre cube d’eau par an parce qu’il y a 1200 cours d’eau en Guinée.
FIM FM : Qu’en est-il des barrages dont leur construction sont en vue sur le fleuve Sénégal ?
Kabinet Komara : Ayant compris la géostratégie pour les autres pays, revenons maintenant à cette situation des barrages. Vous avez 200 MW d’électricité à Manantali, 140 MW dans un deuxième barrage et 60 dans un troisième pour lesquels j’ai contribué à mettre les financements en place. Quand j’y était il fallait réactualiser le schéma directeur de l’aménagement du bassin on a retenu deux barrage en priorité à savoir le barrage de Koukoutamba qui fait 300 MW et le barrage de Gourbassi. Il faut savoir pourquoi on a retenu ces deux barrages. Le barrage de Gourbassi est sur la Falémé parce qu’aujourd’hui avec le changement climatique, l’eau se raréfie. Jusqu’à présent les barrages que nous avons sur le fleuve Sénégal sont sur la branche du Bafing. Donc l’eau commence à se raréfier. On ne contrôle plus que 50% des eaux du fleuve. Il faut faire installer un deuxième barrage en amont sur un autre fleuve de retenu qu’on appelle le barrage de Gourbassi qui va être sur la Falémé. Quand on va faire ce barrage, ça permettra aux deux sites de régulariser le fleuve en saison sèche comme en saison des pluies pour que le Sénégal, la Mauritanie et le Mali aient de l’eau qui coule sur ces fleuves. Donc il est prioritaire pour les trois autres pays qu’on fasse le barrage de Gourbassi. Ce n’est pas important pour la Guinée parce que c’est en aval de la Guinée. Mais pour les trois autres pays c’est important qu’on le fasse.
L’importance du barrage de Koukoutamba
Le barrage de Koukoutamba est important pour la Guinée pour deux autres raisons. D’abord c’est le plus important barrage parce qu’il fait 300 MW alors que les autres sont des moyens barrages 200, 140 ou 60 MW. Le seul barrage de Koukoutamba fait la somme des deux autres barrages. Mais et c’est le grand intérêt pour la Guinée, si vous connaissez bien la géographie du pays, Koukoutamba est entre deux sites très intéressants. Il est entre le site de Bourayah qui est aussi en Guinée et le site de Balassa. Donc en le faisant, vous bonifiez automatiquement les deux autres sites qui sont très facile à faire. C’est pour cela la Guinée doit se battre pour le faire. Parce qu’en le faisant vous interconnectez Koukoutamba au reste de la Guinée et au reste des autres pays. Pourquoi il y a le courant aujourd’hui à Boké et en Moyenne Guinée ? c’est parce qu’il y a l’interconnexion avec l’OMVS. En faisant un barrage et que vous l’interconnectez, alors vous faites circuler facilement l’énergie. Donc c’est important pour la Guinée de se battre pour que ce barrage soit fait.
Mais comment faire ce barrage intégrateur ?
Kabinet Komara : J’ai entendu beaucoup de chose qui n’étaient pas correcte en disant que la Guinée a refusé de mobiliser des fonds. Je n’ai pas participé à la prise de décision mais c’est important de rectifier. Le principe à l’OMVS est que, quand vous voulez construire un barrage vous répartissez le montant à financer entre vous. Quand j’ai vu que ce système ne marchait plus parce que beaucoup d’eau ont coulé sous le pont, j’ai changé de méthode en proposant ce qu’on appelle EPC c’est-à-dire vous choisissez une entreprise qui elle-même va chercher un financement et le mette à la disposition des pays. Ça permettait de gagner du temps. Jusqu’à ce que chacun des pays envoie des lettres à une institution qui doit venir négocier par-ci par-là parce que la réalité politique des pays est changeante. Donc aujourd’hui, j’ai beaucoup confiance au nouveau commissaire. Parce que quand moi j’étais haut-commissaire, il était le ministre de l’énergie de la Mauritanie. Il était dans le conseil des ministres, il connait très bien le problème. Par chance aussi l’actuel ministre des affaires étrangères de la Mauritanie était l’ancien haut-commissaire. C’est à lui que j’avais succédé. Donc ces deux personnalités connaissent l’importance stratégique de faire ces barrages, l’urgence et les méthodes par lesquelles il faut passer. Je dis bien que le Président Mauritanien est très pragmatique, il sait que l’eau qui vient de la Guinée qui ne coule pas très bien, elle n’est pas contrôlée mais elle est vitale pour la Mauritanie. Je pense que la dynamique créée par ce retour, cette levée de suspension va permettre la prise de conscience, la capacité de ces personnes avec l’accompagnement des personnes de bonne volonté de accélérer la mise en œuvre de ces barrages.
Quel rapport entre la Guinée et les autres sociétés de l’OMVS ?
La société de navigation commence à Saint-Louis pour se terminer à Kayes sur 905 kilomètres. Ça n’intéresse pas trop la Guinée parce que la navigation n’est pas du côté Guinéen. Donc quand on met une société de navigation là-bas, ça sert personnellement les autres pays mais par solidarité, si la Guinée veut, elle peut prendre part dedans. Je suis sûr que ça prendra du temps pour que ça soit réalisé.
Deuxièmement vous avez le barrage de Diama qui lui existe déjà et qui vend l’eau aux trois autres pays pour l’addiction d’eau, l’irrigation etc. Cette société avait des problèmes pour réajuster ses tarifs pour que les tarifs que doivent payer les agriculteurs permettent que la saison soit équilibrée financièrement. C’est à la Guinée de voir si elle peut rentrer dedans mais ça n’apporte pas assez de bénéfices pour la Guinée. Par contre la société SOGEM, gère trois barrages Manantali qui fait 200 MW, Guéna qui fait 140 MW et le troisième qui fait 60 MW. Si on a déjà une société guinéenne qui s’appelle la SOGEAU basée en Guinée qui va gérer les trois barrages qu’on va installer. Alors il y aura une ligne d’interconnexion qui va nous lier à la SOGEM. Si la Guinée est actionnaire dans cette société c’est important parce qu’elle bénéficie non seulement de l’expertise mais elle partage une ligne d’interconnexion. Elle permettra aussi grâce à sa garantie, de lever facilement des fonds sur le financement des barrages en Guinée.
La quatrième société dont les gens n’en parle pas c’est la CEMAF. Je vous disais au début qu’on avait recruté une société Sud-Africaine qui gérait les barrages. Cela a crée un très grand conflit. On était obligé de s’en débarrasser et de créer nous-mêmes une société indépendante qui est détenu par les trois États à travers la SOGEM qui gère les barrages. Ça serait intéressant que la Guinée soit actionnaire dans celle-ci puisqu’elle pourra nous aider à gérer nos barrage aussi dans le domaine de l’exploitation. Maintenant les autres éléments sont : l’idée de faire l’irrigation du côté guinéen dont 10.000 hectares de terre à irriguée en Guinée. Nous avons l’addiction d’eau à faire.
L’OMVS et le massif du Fouta Djallon
Surtout ce qui est le plus important pour moi ce sont les aspects environnementaux et écologiques. Le Fouta Djallon est en danger si la Guinée ne fait pas de cela une priorité avec ses États voisins pour qu’on sauve les têtes de source dans les massifs du Fouta Djallon non seulement la Guinée est en danger mais tous ses pays voisins sont en danger aussi. La participation dans l’OMVS va catalyser la mobilisation des financements pour qu’on puisse mettre en œuvre des projets qui vont sauver le massif du Fouta Djallon.
FIM FM : Quel est le coût du capital d’entrer de la Guinée dans ces sociétés de l’OMVS ?
Kabinet Komara : Ça dépend, je vous ai parlez des trois sociétés. Je pense que celle dans laquelle la Guinée doit se battre pour faire partie c’est la SOGEM. Quand on est financier, le coût d’entrer se négocie. On fait des projections financières de la société en question. On détermine les profits futurs qu’il va réaliser. A partir de là, on peut négocier.
FIM FM : Sur le plan de la fourniture de l’électricité, quel bénéfice peut tirer la Guinée d’une éventuelle participation au sein de la Société de Gestion de Manantali ?
Kabinet Komara : D’abord pour bénéficier de l’électricité de Manantali il faut être sur une ligne qui puisse le relier à la Guinée. En suite que les autres aient de l’excédent à vendre. Pour le moment il n’y a pas d’excédant à vendre en plus il n’y a pas de ligne d’interconnexion qui nous lie. Donc ce que la Guinée doit faire c’est de se battre rapidement pour que le barrage de Koukoutamba soit réalisé et l’interconnexion avec Manantali soit faite. A coté de ça, il y a deux autres points très importants qu’on doit faire dans le cadre de ce barrage. C’est le pont sur le Bafing qui permettra définitivement maintenant de quitter Labé, Boké pour aller à Siguiri sans passer par Mamou Dabola. Il est prévu dans le projet du barrage que ce pont soit fait. Deuxièmement élément très important, on a découvert qu’il y a d’énormes quantité de poisson dans le Bafing et les riverains ne sont pas pêcheurs. Donc on a envisagé de créer des bases de pêche, créer des possibilités de former des populations là-bas et je vous assure qu’à partir de là-bas on peut alimenter tout l’arrière-pays en poisson si vraiment l’attractivité du fleuve est faite et que les populations sont formées en bonnes capacités de pêches. Le barrage a un caractère très intégrateur en dehors de l’électricité.
FIM FM : Où en est-on dans la mobilisation des fonds pour la réalisation du barrage de Koukoutamba qu’on estimait avant à 800 millions de dollars ?
Kabinet Komara : Je ne voudrais pas anticiper sur ce que le haut-commissaire en fonction est en train de faire. Permettez que je lui laisse l’initiative de présenter aux autorités guinéennes les démarches qui sont en cours.
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