Aux premières heures de mercredi (01h00 heure locale), un groupe d’hommes lourdement armés a pris d’assaut la résidence présidentielle d’Haïti, sur les hauteurs de la capitale, Port-au-Prince.
Le président Jovenel Moïse, 53 ans, est abattu de plusieurs balles et est mort sur place.
Plus tard, le magistrat Carl Henry Destin révèle que le corps du président présentait 12 blessures par balle. Son bureau et sa chambre sont saccagés, et il est retrouvé allongé sur le dos et couvert de sang, explique le magistrat au journal Le Nouvelliste.
La première dame Martine Moïse, 47 ans, est également blessée dans l’attaque et a été transportée par avion en Floride où elle se trouve dans un état critique mais stable.
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Les trois enfants du couple, Jomarlie, Jovenel Jr et Joverlein, se trouveraient dans un « endroit sûr », selon des responsables gouvernementaux.
Les événements brutaux de cette nuit-là ne se sont pas arrêtés là.
Quelques heures plus tard, une fusillade meurtrière entre la police et les assassins présumés a fait rage à Port-au-Prince.
Le chef de la police haïtienne, Léon Charles, affirme que quatre suspects sont tués et deux détenus, et que la chasse à l’homme se poursuit pour tenter de capturer d’autres suspects qui sont toujours en fuite.
« Ils seront tués ou capturés », assure le chef Charles.
Qui était derrière l’attaque au domicile du Président ?
Le premier ministre par intérim, Claude Joseph, décrit les tireurs comme des « mercenaires » et précise qu’il s’agit « d’étrangers qui parlent anglais et espagnol » (les langues officielles d’Haïti sont le créole et le français).
La police affirme qu’un commando est à l’origine de l’assassinat, et les suspects comprennent 26 Colombiens et deux Américains d’origine haïtienne, explique à la presse le chef de la police nationale, Léon Charles.
Quelques heures plus tard, la police arrête 17 de ces hommes et les exhibe devant les journalistes lors d’une conférence de presse, aux côtés de passeports, de fusils d’assaut, de machettes et de marteaux utilisés comme preuves dans l’affaire.
Huit des suspects sont toujours en fuite. Les autres suspects sont abattus lors d’échanges de tirs avec la police dans la capitale, Port-au-Prince.
Une vidéo publiée après la fusillade montre des hommes lourdement armés et vêtus de noir à l’extérieur de la résidence, criant en anglais : « opérations de la DEA [Administration américaine de lutte contre la drogue], tout le monde reste à terre ! »
L’ambassadeur de Haïti aux États-Unis, Bocchit Edmond, souligne que si les assaillants se sont fait passer pour des agents de la drogue américains, il estime qu’il n’y a « aucune chance » qu’ils soient réellement des agents américains.
« Ils sont payés pour ce travail consistant à venir assassiner le président et nous espérons qu’ils révéleront pour qui ils travaillaient », a dit l’ambassadeur Edmond à la chaîne NTN24.
Le chef de la police Charles décrit des scènes dramatiques alors que les officiers affrontent les assassins présumés : « nous avons bloqué [les suspects] en route alors qu’ils quittaient la scène du crime », dit-il lors d’une conférence de presse. « Depuis lors, nous nous sommes battus avec eux ».
Selon les autorités, les suspects étaient bien armés et avaient pris en otage trois policiers, qui sont ensuite libérés.
L’arrivée au pouvoir de Jovenel Moïse
La trajectoire politique de Jovenel Moïse n’est pas sans rappeler celle d’autres dirigeants latino-américains.
Il a commencé comme un homme d’affaires prospère dans cette nation de 11 millions d’habitants, souvent considérée comme le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental.
En quelques années, il est devenu président. Il a pris ses fonctions en 2017.
De nouvelles élections législatives auraient dû avoir lieu en octobre 2019, mais elles ont été contestées et retardées. En conséquence, le mandat de M. Moïse a été prolongé et il gouverne par décret depuis plus d’un an.
Au cours de ses quatre années de mandat, le président a eu six premiers ministres, et lundi – un jour avant d’être assassiné – il avait nommé le septième homme pour ce poste, Ariel Henry.
Mais M. Henry n’avait pas encore prêté serment, de sorte que son prédécesseur, Claude Joseph, est l’homme en charge depuis l’assassinat de M. Moïse.
L’incertitude quant à la personne qui doit désormais gouverner le pays est omniprésente.
Choc, rumeurs et beaucoup de questions sur l’avenir
Le Premier ministre par intérim Joseph décrit Haïti comme étant « en état de choc » après l’assassinat.
Mais la pression avait déjà augmenté avant l’assassinat du président. Le mandat de M. Moïse a été marqué par une instabilité politique croissante et des allégations de corruption et de mauvaise gestion. Des manifestations de masse avaient été organisées pour demander sa démission.
« C’est vraiment l’un des événements les plus intrigants de l’histoire d’Haïti », déclare le professeur Robert Fatton, né en Haïti et aujourd’hui maître de conférences à l’université de Virginie, aux États-Unis.
L’universitaire estime que l’assassinat de M. Moïse est l’un des événements les plus troublants jamais survenus dans une nation marquée par la pauvreté, les catastrophes naturelles, les épidémies, les dictatures et les conspirations politiques.
« Même pour un pays instable comme Haïti, un assassinat de ce type est un événement inhabituel et inquiétant », explique le professeur Fatton à la BBC.
« Quand on l’analyse d’un point de vue politique, il n’est pas facile d’imaginer qui l’a fait, ou pourquoi. »
Le professeur Fatton, qui est l’auteur du livre Haiti’s Predatory Republic : The Unending Transition to Democracy (2002), estime que cet événement – et sa résolution – peut avoir de graves répercussions sur la nation caribéenne appauvrie, mais aussi sur la région au sens large.
« L’assassinat du président Moïse place Haïti aux portes du chaos. Tout comme cela s’est produit dans le passé, une telle instabilité politique et sociale peut avoir des répercussions sur l’ensemble de la région », ajoute-t-il.
« Par le passé, après des coups d’État ou des catastrophes naturelles, les conséquences qui s’ensuivaient allaient au-delà de problèmes tels que des vagues de migration… cela nécessitait l’intervention d’autres gouvernements de la région, voire de l’ONU ».
Il est peut-être trop tôt pour prédire la suite des événements, estime l’expert, mais il pense que l’avenir immédiat d’Haïti est sombre.
Avant même que la pandémie ne frappe, le pays était aux prises avec des troubles sociaux et économiques.
L’instabilité politique pourrait maintenant pousser Haïti à bout.
Le gouvernement a décrété un « état de siège » de deux semaines pour l’aider à traquer les assassins et à contrôler les troubles sociaux potentiels.
L’état d’urgence permet d’interdire les rassemblements et d’utiliser l’armée pour jouer le rôle de la police. L’aéroport de Port-au-Prince a été fermé jeudi et les habitants ont été invités à rester chez eux.
M. Joseph affirme que « toutes les mesures ont été prises pour assurer la continuité » et que « la démocratie et la république vont gagner ».
Mais des questions subsistent quant au degré de contrôle qu’il peut exercer, dans un pays qui a été profondément secoué par le meurtre brutal de son homme le plus puissant.
bbc